Dans un secteur souvent contraint par des processus hérités et des flux de travail fragmentés, le Groupe Legendre s’impose comme un pionnier de la transformation numérique. Le groupe français de la construction, dont le siège est à Rennes, fort de 90 ans d’histoire et d’une équipe de plus de 2400 personnes, avec des projets s’étendant de Londres à Lisbonne en passant par Paris, a placé la transformation numérique et les standards ouverts au cœur de sa stratégie.
Le travail de Legendre sur l’usine de valorisation énergétique (UVE) de Taden est un parfait exemple de cette philosophie, démontrant qu’un engagement envers l’Open BIM peut libérer de la valeur et améliorer l’efficacité même sur les projets les plus complexes.
Nous nous sommes récemment entretenus avec Damien Lefranc, Chef de Groupe (BIM Management) chez Legendre, pour comprendre la mission de son équipe et comment elle s’appuie sur la technologie pour améliorer la collaboration et la réalisation des projets.
Le défi : la complexité comme catalyseur du changement
Le projet UVE de Taden est loin d’être une simple construction. Il s’agit d’une rénovation à grande échelle d’une installation existante, d’un budget de 132 millions d’euros, dont l’objectif est d’augmenter sa capacité à convertir les déchets ménagers en 99 GWh d’électricité par an. Le projet implique de multiples phases et zones, avec des travaux de conception et de construction simultanés, et une grande diversité d’acteurs. L’équipe de Legendre a travaillé en étroite collaboration avec SUEZ, gérant le génie civil tandis que SUEZ s’occupait de la partie industrielle. Damien a été assisté par Yasmine Hajji de SUEZ, à qui il attribue le mérite d’avoir « fait un travail énorme pour la partie industrielle ».
Pour Damien, c’est précisément cette complexité qui fait de ce projet, comme d’autres projets similaires dans le portefeuille de Legendre, un cas d’usage parfait pour les méthodes numériques avancées. « C’est le projet et la collaboration actuelle entre les parties prenantes qui déterminent le besoin d’une approche Open BIM », explique-t-il.
Dans un environnement complexe comme celui de Taden, qui rassemble différents logiciels (Bricscad, Solidworks, Revit, Tekla) et des équipes de divers pays parlant des langues différentes, l’interopérabilité n’est pas un luxe, c’est une nécessité. C’est là que les systèmes fermés et propriétaires échouent. « Le BIM fermé est une très mauvaise solution pour ce type de projet », affirme Damien. « Nous perdrions trop de temps et d’argent à convertir des modèles et à les rendre accessibles à tous les membres de l’équipe. »
Construire un écosystème de collaboration
L’engagement de Legendre envers l’Open BIM n’est pas récent. L’entreprise utilise des standards ouverts comme l’IFC et le BCF depuis 2015. Cet engagement de longue date leur a permis de construire un écosystème numérique solide qui s’étend au-delà de leurs équipes internes pour inclure les sous-traitants et partenaires de longue date.
« Pour les plus réguliers, ils savent où aller chercher l’information », explique Damien à propos de leurs sous-traitants. Il se souvient d’une époque où certains hésitaient à adopter le BIM sur le chantier. Aujourd’hui, dit-il, c’est une autre histoire : « Ce n’est plus un sujet. On peut même dire que sur les projets, ce sont les sous-traitants qui nous appellent en demandant ‘Avez-vous mis Catenda en place ou pas ? Où peut-on trouver l’information ?’ »
Ce changement témoigne de l’approche de l’équipe Legendre : promouvoir l’utilisation des modèles numériques non pas par obligation, mais en démontrant leur valeur. « Il est important de ne pas forcer les équipes à utiliser le BIM », déclare Damien. « L’approche BIM doit être facile d’accès et peu coûteuse. »
Catenda Hub, un environnement de données commun (CDE) basé sur des standards ouverts, sert de plateforme centrale à cet écosystème collaboratif. Sa facilité d’utilisation a été un facteur clé de son adoption. Comme le souligne Damien, l’objectif est de rendre les modèles numériques et les outils accessibles même aux non-spécialistes sur le chantier, un facteur crucial dans un projet qui compte plus de 100 utilisateurs.
Mesurer le succès au-delà du résultat financier
Alors que de nombreuses entreprises se concentrent sur la quantification des gains de temps et des économies de coûts, l’équipe de Damien a une perspective plus nuancée. Ils se concentrent sur la qualité et la réduction du stress sur le chantier, des facteurs difficiles à mesurer mais qui ont un impact profond sur la réussite du projet. « Chaque projet est un prototype », affirme Damien. « Ce que nous pouvons réellement mesurer, c’est la qualité du travail… Cela se constate par une diminution des tensions sur le chantier. »
Il s’empresse de donner un exemple de ce gain qualitatif sur le projet de Taden : « Ma plus grande satisfaction vient des retours des équipes et du chef de chantier, comme entendre que l’utilisation des modèles a rendu l’exécution des travaux de pieux plus facile. »
Cette approche centrée sur l’utilisateur final s’étend à la stratégie de digitalisation plus large de l’entreprise. Un exemple parfait est le cas de Nicolas, un chef de chantier qui, en raison d’expériences passées, était initialement réticent à adopter l’approche BIM. Il a été convaincu par l’équipe de Damien, qui a mis en place Catenda d’une manière qui répondait directement aux besoins spécifiques de son équipe sur le chantier. Aujourd’hui, Nicolas est un converti, demandant à ses propres équipes d’utiliser la plateforme.
Le département de construction numérique de Legendre s’emploie également à créer des tableaux de bord clairs et conviviaux, alimentés par l’API de Catenda et développés en partenariat avec la startup SeveUp. Ces tableaux de bord, accessibles via un lien URL unique, offrent une vue d’ensemble du projet, incluant le statut des modèles, des documents et des problèmes. Cette initiative ne se limite pas au projet de Taden ; c’est un projet pilote pour une stratégie de données à l’échelle de l’entreprise. « Nous voulons tester ces tableaux de bord sur ce projet avant de les proposer à d’autres projets », explique Damien. « L’approche Open BIM adoptée il y a 10 ans nous aide à échanger avec toutes les professions, y compris les gestionnaires de données. »
L’équipe derrière la transformation
Damien a également tenu à souligner l’expertise de son équipe et leurs contributions directes à la réussite du projet. Il a remercié Aurélie Becerra et Gaëlle Rolland de l’équipe de conception 3D pour avoir maintenu un « haut niveau d’exigence » dans les modèles échangés. Leur travail garantit que le client reçoit un produit final de haute qualité.
De plus, la vidéo de phasage utilisée pour expliquer les priorités de planification a été un élément clé du projet. Cette expertise a été fournie par Yann Le Loc’h du département des méthodes et Raphaël Daumer du département de construction numérique.
L’avenir est ouvert
En regardant vers l’avenir, Damien voit l’avenir de la construction numérique pour une entreprise générale comme Legendre se poursuivre sur la voie de l’Open BIM, sous l’impulsion de deux défis majeurs : la sécurité des données (en adoptant des standards comme l’ISO 27001) et l’essor des CDE ouverts.
Il a également partagé sa liste de souhaits pour de nouvelles fonctionnalités, notamment une meilleure intégration des nuages de points, des capacités 4D pour comparer un modèle numérique avec l’avancement réel du chantier, et l’utilisation de l’intelligence artificielle pour automatiser des tâches comme l’appariement des objets numériques avec leur documentation. Il est convaincu que ces avancées sont à l’horizon.
En conclusion, il souligne que ce que Legendre accomplit est un exemple que « le BIM n’est plus un sujet pour les spécialistes ». En adoptant des standards ouverts et en donnant la priorité à la collaboration, Legendre ne se contente pas de construire des structures ; ils bâtissent un avenir plus efficace et transparent pour l’ensemble du secteur de l’AECO.
Crédit image : Legendre Constrcution